Dans la brume


Dans la brume

par Lézardine

 

Dans le petit matin blême, la voiture filait trop rapidement. Le temps était couvert et la brume légère rendait le paysage un peu fantomatique. La jeune femme conduisait machinalement, son regard perdu dans le vague. Les brumes de son esprit semblaient bien plus opaques que celles de ce petit matin d'automne. La voiture avalait les courbes et les virages avec souplesse.

Mais soudain, alors qu'elle dépassait le vieux lavoir, une silhouette sombre surgit du brouillard. La conductrice pila, les mains accrochées au volant à s'en faire blanchir les jointures. Elle essaya tant bien que mal d'éviter l'obstacle, mais le véhicule dérapa et elle sentit tout d'abord un choc sourd quand son aile heurta la silhouette, puis un autre plus violent quand la voiture alla s'encastrer dans une barrière. Son crâne heurta le tableau de bord tandis que la ceinture lui comprimait douloureusement la poitrine. Le souffle coupé, elle vit la brume du matinale se transformer en un épais brouillard noir et perdit connaissance.

Quand elle revint à elle, le paysage lui sembla étranger. Elle tenta en vain de percer la nappe cotonneuse qui l'entourait, puis les souvenirs de l'accident affluèrent. Elle porta la main à son crâne et grimaça. Quand elle retira ses doigts, ils étaient rouges et poisseux. Elle revit encore une fois les images de l'accident, mais au ralenti comme les scènes d'un mauvais film au cinéma. Elle entendit à nouveau le choc sourd, et, tremblante tenta de détacher sa ceinture. Quand enfin elle y parvint, elle s'extirpa laborieusement de l'habitacle, et chancelante, se dirigea vers la chaussée.

Le brouillard se referma sur elle comme une robe de chambre duveteuse. On n'y voyant pas à deux mètres, et tandis qu'elle tendait les mains devant elle, claudiquant à tout petits pas, elle appela dans le silence, doucement, puis de plus en plus fort, lançant des appels angoissés au mur gris qui l'entourait.

En vain, ses appels restèrent sans réponse. Elle s'efforça de respirer le plus doucement possible malgré sa cage thoracique douloureuse. Elle guetta le moindre cri, la plus petite plainte, voire même un halètement ou une respiration, aussi tenue soit-elle. Mais dans ce petit matin automnal, on aurait dit que le brouillard qui enveloppait tout, avait aussi absorbé tous les sons. Même la nature semblait silencieuse.

Tout à coup, son pied heurta quelque chose, dans un bruit mat. Quelque chose de mou... Elle se baissa, réveillant la douleur lancinante dans son crâne, et sa main partit en exploration à tâtons. Elle tremblait sans pouvoir s'en empêcher, incapable de contrôler ses gestes.

Alors, prisonnière de son mur de coton, elle perçut la froideur de l'asphalte, puis un tissu rugueux. Elle frissonna. Sa main remonta un peu plus, et ses doigts s'engluèrent dans un liquide chaud et visqueux. Ses frissons se muèrent en tremblement convulsifs. Et sa main, comme un petit animal autonome à la volonté propre, remonta encore le long du tissu tentant de percevoir, dans un braille sinistre, la forme allongée sur la route.

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